[SAUVER LA VIE 2023] Impact du déroulement de l’accouchement sur le risque de dépression du post-partum : Étude nationale en population à partir des données de l’enquête nationale périnatale 2021

Rencontre avec le Pr Camille Le Ray - INSERM U 1153, CRESS, équipe EPOPé, Université Paris Cité

Quel est le contexte général qui a donné naissance à ce projet ?

Pour la 1ère fois en 2021, l’Enquête Nationale Périnatale a permis d’estimer la fréquence de la dépression du post-partum en France, qui touche 16.7% des femmes, à 2 mois du post-partum.

Comprendre les déterminants associés à la dépression du postpartum est primordial pour pouvoir mettre en place des actions ciblées, prévenir sa survenue chez les patientes à risque et mieux dépister cette pathologie, qui impacte les femmes mais également leurs enfants, et plus globalement l’ensemble de leur famille. Dans certains cas la dépression du post-partum (DPP) peut conduire à une tentative de suicide, 1ère cause de mortalité maternelle dans notre pays.

Certains déterminants de la DPP, tels que les antécédents maternels psychiatriques sont bien connus, en revanche d’autres restent à étudier. En particulier, l’impact du déroulement de l’accouchement et des complications survenant au cours de l’accouchement sur la survenue de la DPP a fait l’objet de peu d’études, et aucune, à notre connaissance, en population, à l’échelle nationale.

En quoi consiste votre projet ? 

L’objectif de ce projet est d’étudier, à partir des données de l’enquête nationale périnatale (ENP) 2021, comment le déroulement de l’accouchement influence le risque de survenue de DPP, en utilisant les données :

>Du questionnaire à la naissance de l’ENP 2021 qui comprend en plus des caractéristiques sociodémographiques et des antécédents des femmes, des données sur le déroulement exact de son accouchement et les complications survenues

>Du questionnaire à 2 mois de l’ENP 2021 qui comprend une échelle standardisée validée en français permettant d’identifier les femmes présentant une dépression du post-partum

>Des données du Système National des Données des Santé, appariées à la base de ENP 2021, qui comprend les hospitalisations en psychiatrie et les consommations de médicaments psychotropes avant et pendant la grossesse et durant l’année suivant l’accouchement.

Ce projet se déroulera au sein de l’équipe EPOPé, responsable de mise en œuvre et de traitement de l’ENP 2021.  Un statisticien sera dédié à la réalisation des analyses. L’élaboration du plan d’analyse, l’interprétation des données et la rédaction des résultats seront multidisciplinaires (épidémiologiste, obstétricien, sage-femme, psychiatre).

En quoi est-ce innovant ?

L’ENP 2021, enquête dont je suis la responsable scientifique, s’est déroulée dans toutes les maternités françaises en mars 2021 (www.enp.inserm.fr). Ses données, recueillies en population, sont représentatives de l’ensemble des femmes qui accouchent dans notre pays et représentatives des pratiques médicales autour de l’accouchement en France. Les évolutions de l’ENP 2021, par rapport aux précédentes ENP, à savoir la mise en place d’un suivi à 2 mois et l’appariement aux données du SNDS, sont des innovations qui permettent pour la 1ère fois en France d’estimer la fréquence de la dépression du post-partum, en population, à l’échelle nationale.

Le suivi à 2 mois de l’ENP 2021 a montré que 16.7% des femmes accouchant dans notre pays, présentaient une dépression du post-partum, évaluée à partir d’une échelle standardisée validée en français, l’Edimbourg Postpartum Depression Scale (EPDS). Les facteurs influençant la survenue de cette pathologie doivent maintenant être étudiés spécifiquement. Le déroulement de l’accouchement et ses complications sont potentiellement un facteur de risque important de survenue de dépression du post-partum. L’ENP 2021 a permis le recueil de données précises sur le déroulement de l’accouchement et ses complications. Ces deux types de données très spécifiques à la fois du facteur d’exposition (déroulement de l’accouchement et de ses complications) et de l’outcome (dépression du post-partum) dans une même base de données est inédite et permettra d’obtenir des résultats innovants jusqu’alors jamais publiés. De plus, la méthodologie statistique utilisée, prenant en compte et quantifiant les facteurs intermédiaires grâce à des analyses de médiations, est également innovante.

Enfin, l’appariement de la base ENP 2021 aux données du SNDS, réalisée pour la 1ère fois en 2021, permettra également d’étudier l’association entre le déroulement de l’accouchement et ses complications et la survenue d’une dépression du post-partum à travers la consommation de soins en psychiatrie et la consommation de psychotropes chez les femmes incluses dans l’ENP 2021 durant la 1ère année suivant leur accouchement. De telles analyses n’ont jamais été réalisées dans notre pays.

Quel peut-être l’impact d’un tel projet ? 

Le dernier rapport de l’enquête confidentielle sur les morts maternelles a mis en évidence que le suicide était la 1ère cause de mort maternelle dans notre pays. Identifier les déterminants de la dépression du post-partum est primordial pour diminuer la fréquence de cette pathologie qui impacte un grand nombre de femmes (16,7% des 750 000 femmes accouchant/an dans notre pays), et à travers elles, également leurs enfants et leur conjoint. Le retentissement global de cette pathologie est actuellement sous-estimé.

Comprendre comment le déroulement de l’accouchement impacte la survenue de la dépression du post-partum permettra de mieux prendre en charge les femmes, de mieux identifier les femmes à risque, et ainsi d’améliorer leur santé mentale, leur bien-être et celui de leurs enfants et de leur famille.

Quels sont les bénéfices à court/moyen/long terme ?

Améliorer la compréhension des facteurs influençant la DPP permettra d’améliorer la santé mentale des femmes en postpartum dans notre pays. La mortalité par suicide lors de la 1ère année post-partum, pourrait ainsi également diminuer. Par ailleurs, considérant que la DPP impacte la santé mentale des femmes tout au long de leur vie, les bénéfices escomptés ne concernent pas uniquement la période du post-partum pour les femmes.

Améliorer la santé mentale des femmes en post-partum permettra également d’améliorer les liens mères-enfants, altérés en cas de dépression maternelle, et ainsi d’améliorer le développement neurocognitif et psycho-affectif des enfants.

Enfin, l’impact de la dépression maternelle sur la santé mentale des conjoints fait l’objet de très peu d’études. Mais l’amélioration de la prise en charge de la DPP maternelle pourrait également impacter positivement la santé mentale des conjoints.