Le dispositif en santé numérique : interview de Chahra Louafi, directrice du Fonds Patient Autonome – Bpifrance

Dispositif en santé numérique : accompagner, financer, fédérer. L'avenir de notre système de santé nécessite de faire dialoguer santé et numérique, acteurs privés et publics, startups et grands groupes et le dispositif traduit cette ambition sur le terrain.

En quoi consiste ce dispositif complet en santé numérique : l’incubateur  d’entrepreneurs et la communauté ?

Le Dispositif se déploie autour trois axes d’action :

  • La Communauté Santé Numérique qui fédère acteurs privés et publics, représentatifs de l’écosystème, pour une mise en commun des savoir-faire et l’implémentation de projets collaboratifs.

  • L’incubateur national d’entrepreneurs en santé numérique, qui propose un parcours d’accompagnement des dirigeants pour accélérer le passage à l’échelle des startups sélectionnées, en travaillant particulièrement sur les problématiques d’accès au marché,et pour renforcer leur avantage compétitif.

  • Le Fonds Patient Autonome de Bpifrance qui investit en capital dans les startup du secteur.

Comment est né ce dispositif ? De quel postulat est parti la puissance créative à l’origine de ce dispositif ?

Le marché de la santé numérique est un marché très neuf, fragmenté et qui souffre du cloisonnement des acteurs du secteur et de l’isolement de ses entrepreneurs. Les innovations portées par ces derniers ne sont pas issues de laboratoires académiques mais sont des initiatives personnelles (rencontre d’un médecin qui porte une problématique et d’un ingénieur qui crée la solution) inscrites sur des territoires.

De manière empirique, dans le cadre de mes fonctions de direction du fonds Patient Autonome dédié au financement de l’accès au marché des solutions de santé numérique chez Bpifrance (capital-risque), j’ai pu observer que l’apport en capital ne résolvait pas tout.  Qu’il manquait un chemin clair pour les entrepreneurs pour arriver jusqu’à l’accès au marché, un accompagnement spécifique. Les innovations de santé numérique cumulent des problématiques qui freinent leur développement :

-un lien fort de leur activité avec les données de patients

-une nécessité d’aligner 3 intérêts pour signer des contrats avec les établissements de santé (la majorité des clients) et donc accéder au marché: l’utilisateur de la solution (le professionnel de santé), le décideur (le DSI) et le payeur (le Directeur de l’hôpital)

-le besoin absolue de créer de la confiance autour de la solution innovante pour développer son usage.

Parallèlement à ce constat, l’innovation n’est pas protégée par des brevets, une course de vitesse existe et on retrouve les mêmes enjeux que dans le numérique « the winner takes all ».

Un nouveau modèle d’accompagnement qui tiendrait compte de l’ensemble de ces problématiques devait être inventé. Un modèle où finalement la start-up est très rapidement en connexion étroite avec ses futurs clients qui vont l’aider à grandir.

Etant donnée la multitude de segments de marché, une représentation de l’ensemble des acteurs du marché était nécessaire. Par ailleurs, ces acteurs donneurs d’ordre devaient se retrouver à tous les maillons de l’accompagnement pour faire grandir les entrepreneurs grâce aussi au décloisonnement : membres du jury pour les sélectionner, mentors, animateur d’un programme d’accompagnement. Ce contact étroit start-up/donneur d’ordre permettrait le transfert d’expertise, qui sur un marché neuf, à une valeur inestimable.

L’incubateur Université de Paris – Bpifrance est né. La communauté de donneurs d’ordre s’est structurée, le fonds Patient Autonome a rejoint le projet. En synthèse le Dispositif est lancé.

Qu’est-ce qui selon toi fait la force aujourd’hui, encore plus qu’avant, des partenariats et des collaborations Public/Privé ?

La France est au cœur d’un enjeu stratégique pour transformer au cours de 3 prochaines années son système de santé par l’innovation en santé numérique. Elle doit pouvoir déployer rapidement les innovations en santé numérique qui vont permettre cette transformation, et éviter que des innovations provenant d’autres pays européens comblent les besoins. Or, la pandémie accélère les besoins de marché. Seules la collaboration et le transfert de compétence réciproque entre les parties permettent de gagner en temps et en expérience sur ce marché neuf de la santé numérique afin d’apporter dans les plus brefs délais les solutions de santé numérique nécessaires à la transformation du système de santé.

Mais, ces échanges ne peuvent se faire que dans un cadre éthique et « contrôlé » par un tiers de confiance pour protéger les innovateurs les plus vulnérables car sans protection industrielle face aux stratégies d’intelligence économique menées par de gros acteurs.

La présence d’un acteur public permet de rééquilibrer les relations entre les start-up, en position très vulnérable, et grands donneurs d’ordre. Le rôle de tiers de confiance de Bpifrance dans ce Dispositif est clé pour faciliter les échanges start-ups / donneurs d’ordre en veillant à la déontologie des acteurs industriels. En effet, les échanges se déroulent dans un cadre éthique (confidentialité, bienveillance, pas d’intelligence économique) encadré par la signature de charte à la demande de Bpifrance pour faciliter la diffusion d’informations sur des innovation qui ne sont pas éligibles à une protection industrielle.

La communauté depuis sa création est le nid créatif de projets collaboratifs, peux-tu nous en parler et nous faire un zoom sur l’un d’entre eux ?

Trois projets collaboratifs ont également été déployés par et entre les donneurs d’ordre. Le premier est dédié aux soins de support en oncologie, il est porté par Vivalto Santé et Harmonie Mutuelle. Le second partenariat, entre Mes Docteurs et le CHU d’Orléans, concerne les territoires de santé intelligents. Il vise à faciliter la coordination entre la ville et l’hôpital, en utilisant l’intelligence artificielle et les outils numériques de télémédecine. Enfin, le troisième projet, porté par Dassault System et Vivalto, porte sur la chaîne de valeur. Il s’agit d’un travail de cartographie et de partage d’informations pour que l’on ait un référentiel commun. 

Côté incubateur, le pari de la durée d’accompagnement des start-up est de 6 mois, un choix ambitieux qui porte ses fruits selon toi ?

Oui c’est vrai que c’est peut-être court, mais l’incubateur cible des sociétés en voie de déploiement de leur produit sur leur marché. En 6 mois les sociétés ont accès à diverses compétences pour être préparées à ce lancement. Elles ont eu préalablement accès à une analyse 360 de leur projet qui permet d’identifier les faiblesses et donc les points sur lesquels elles devront absolument travailler sur la durée de l’accompagnement, et notamment avec leur mentor.

Aujourd’hui, les initiatives dans la E-santé, se multiplient, comment l’incubateur et la communauté se différencient-ils dans ce paysage de plus en plus complexe ? Quelle est leur plus-value ?

Cette multiplication des initiatives démontre le développement important du marché de la santé numérique et sa forte activité même s’il est encore neuf. L’originalité du modèle du Dispositif (collaborations directes entre donneurs d’ordre ou entre donneurs d’ordre et start-up pour provoquer le changement d’échelle de leurs solutions innovantes), est unique et il n’en existe pas d’autre. Il a été réfléchi par les acteurs du secteur en posant dès son démarrage les bases de critères de mesure de la création de valeur sur le long terme d’une solution de santé numérique : au niveau médico-économique et financière. Ce sont des critères qui fédèrent des acteurs qui ne parlent pas le même langage. Et c’est ce qui est assez unique.